Le coin des stagiaires de la Bourse pour l’élaboration de politiques scientifiques canadiennes Surmonter notre orgueil scientifique démesuré

Dans la récente allocution de Sir Peter Gluckman à la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes, il nota que « l’orgueil scientifique démesuré peut empêcher les interactions réelles ». Pour une personne formée comme physicienne, qui a fait le saut existentiel aux sciences sociales, cela semble comme un euphémisme.
Je me rappelle parfaitement un soir froid de l’hiver 2003 sur une rue déserte près de l’Université York. Je marchais vers chez moi après une journée de cours à la poursuite d’un diplôme du premier cycle en Sciences de la Terre et Atmosphériques. Ma colocataire, une étudiante d’Anglais, marchait à côté de moi. Nous étions plongées dans un débat animé. Le sujet? S’il y existe ou non une chaise (hypothétique) au milieu du trottoir.
Mon argument était : « C’est une chaise. Elle est soit là ou pas. C’est une conversation stupide. Pourquoi parlons-nous de ceci? »
Son argument : « Mais qu’arrive-t-il si je ne perçois pas ce qu’il y a là comme une chaise? Est-ce encore une chaise? Et, pourquoi es-tu si inconfortable à la pensée même de ceci? »
Je suis devenue très frustrée. J’ai dit quelque chose de méchant à propos des sciences sociales et humaines. Nous avons cessé de parler de chaises.
Cela sonne beaucoup comme de l’orgueil scientifique démesuré qui empêche une interaction réelle.
Près de 15 ans et un gros changement de discipline plus tard, je peux reconnaître que nous étions en plein débat ontologique fondamental enraciné dans nos formations respectives en sciences naturelles et humaines. Comme physicienne formée pour croire que la vérité est objective, universelle et connaissable, j’étais inconfortable à l’idée que le monde pourrait être moins ordonné, prévisible et contrôlable que l’on m’avait enseigné. Ma colocataire très patiente faisait de son mieux pour m’expliquer que différentes personnes voient le monde de différentes façons qui façonnent ce qu’ils perçoivent comme la réalité. C’est quelque chose que tout politicien pourrait vous dire, mais que moi, avec ma formation en nombres et en absolus, ne pouvais tout simplement pas supporter.
Cela m’amène à un autre bijou de l’allocution de Sir Gluckman : « La majorité d’entre nous [scientifiques] est mal équipé pour faire face aux attentes du 21e siècle par rapport à notre travail. » Ces attentes, que nous apprendrons à coopérer efficacement avec la société afin de contribuer à l’amélioration du monde, requièrent une série de compétences pour lesquelles les scientifiques formés traditionnellement sont lamentablement non préparés.
Pour moi, ça a pris une année dans un pays en développement pour apprendre péniblement que mes connaissances au niveau de la maîtrise des systèmes de traitement de l’eau et qu’un sourire gagnant ne pourraient résoudre des siècles de problèmes d’eau enracinés dans le colonialisme, la globalisation et la pauvreté. Pour les professionnels qui n’ont pas le luxe de passer une année de « découverte d’eux-mêmes », le développement de compétences doit être plus direct. Le domaine des études de la science et de la technologie (STS) examine spécifiquement ces questions et peut fournir des ressources dans le format familier d’articles de journaux. Encore mieux, de la collaboration organisée avec diverses perspectives sur des questions complexes peut aider à changer des perspectives; il y a plusieurs excellents exercices sur comment rassembler des perspectives sur des problèmes contemporains complexes. Des sites web comme i2insights.org, alimenté par le National Socio-Environmental Synthesis Center fournissent de bons exemples à savoir comment accroître notre capacité à travailler avec divers groupes.
Au cœur de ceci, il y a quelque chose que Sir Gluckman a laissé sous-entendre encore et encore, sans jamais le nommer, l’interaction politique efficace par les scientifiques requiert de l’humilité. Cela nous exige de comprendre et d’accepter que, malgré nos méthodes et certitudes scientifiques, nous ne serons pas toujours considérés en premier. D’autres idées et façons d’encadrer les problèmes peuvent dominer. Toutefois, si nous pouvons ouvrir nos perspectives à d’autres points de vue, nous sommes plus susceptibles d’être capables de comprendre les autres, de travailler en coopération et de nous occuper efficacement de problèmes ensemble.
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La Bourse pour l’élaboration de politiques scientifiques canadiennes est rendue possible grâce à la professeure Sarah Otto, du Département de zoologie à l’Université de la Colombie-Britannique, aux agences et ministères fédéraux participants, à l’Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique de l’Université d’Ottawa ainsi qu’au comité consultatif de la Bourse pour l’élaboration de politiques scientifiques de Mitacs.