Rapport

Le Canada est-il équipé pour un renouveau de la biofabrication ?

Points clés

  • À travers l’histoire, les scientifiques et les équipes de recherche médicale du Canada ont joué un rôle déterminant dans l’éradication de maladies largement répandues.
  • Le Canada a récemment lancé la Stratégie en matière de biofabrication et de sciences de la vie pour renforcer sa capacité à l’égard de différents processus de production et de plateformes de vaccins.
  • Le Canada a investi plus de 1,2 G$ dans des projets de biofabrication.
  • Il faudra 65 000 emplois d’ici 2029 dans le domaine de la bioéconomie canadienne. Au rythme actuel, on prévoit que seulement 25 % des postes disponibles seront pourvus.
  • Le Canada doit s’assurer que les nouvelles compétences et les nouveaux talents cadrent avec les investissements importants réalisés dans ce secteur.

Capacité de biofabrication du Canada et préparation aux pandémies

En 2021, le gouvernement du Canada a réalisé un investissement historique visant à renforcer le secteur national de la biofabrication et son degré de préparation aux prochaines pandémies. L’objectif est d’être autosuffisant tout en réduisant les difficultés liées à la chaîne d’approvisionnement.

La pandémie mondiale de COVID-19 a mis en lumière les possibilités et vulnérabilités dans le secteur de la biofabrication au Canada. À l’heure actuelle, nous arrivons au quatrième rang en tant que pôle scientifique en biosciences — derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis — grâce à l’apport des dernières décennies de nombreuses entreprises importantes en biotechnologies comme Sanofi Pasteur et Resilience Biotechnologies, pour n’en nommer que quelques-unes.

Sanofi Pasteur, en particulier, a fait des avancées remarquables après avoir acquis ce qu’il restait des légendaires Connaught Antitoxin Laboratories, situés à l’Université de Toronto. Pionnier mondial des vaccins à son apogée, Connaught a contribué à la découverte de l’insuline, du vaccin contre la polio, ainsi qu’à des vaccins contre la grippe et la rougeole, ce qui a joué un rôle central dans l’éradication de la variole. De nos jours, Sanofi continue de mener des activités sur le campus Connaught à Toronto, où l’entreprise travaille au développement du vaccin contre la diphtérie et le tétanos, ainsi que d’autres produits sur la liste des médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la Santé.

Toutefois, selon le Dr Earl Brown, professeur émérite à l’école de médecine de l’Université d’Ottawa, l’installation n’a tout simplement pas pu être convertie à temps pour accueillir la production du vaccin contre la COVID-19. Malgré nos réalisations, en fin de compte, nous ne disposions pas de l’infrastructure pour produire un vaccin fabriqué au Canada.

Renforcer la capacité nationale dans le secteur de la biofabrication

Au début du millénaire, de nombreuses sociétés biopharmaceutiques ont subi une restructuration mondiale pour consolider leurs activités, ce qui a entraîné leur entrée sur des marchés nouveaux ou existants à l’extérieur du Canada. En conséquence, nous sommes devenus de plus en plus dépendants des importations de vaccins en provenance de pays qui avaient la capacité de les produire pour nous.

Pour régler ces problèmes, dans le cadre du budget fédéral de 2021, le gouvernement s’est engagé à verser 2,2 G$ sur sept ans pour la Stratégie de biofabrication et des sciences de la vie du Canada.

Annoncée en juillet 2021, cette stratégie présente cinq piliers pour assurer la réussite :

  1. Assurer une gouvernance forte et coordonnée
  2. Établir une base solide en renforçant les systèmes de recherche et la filière de talents
  3. Favoriser la croissance des entreprises en redoublant d’efforts dans les domaines de force existants et émergents
  4. Renforcer les capacités publiques
  5. Favoriser l’innovation en assurant une réglementation de classe mondiale

La stratégie permet au Canada de réaliser des progrès importants à court terme pour soutenir le développement de l’infrastructure, la recherche et développement (R-D), les technologies émergentes, les processus de bout en bout et les essais cliniques fondés sur un effort coordonné entre les établissements d’enseignement, les entreprises, les trois organismes, le gouvernement et la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI).

Où est donc tout le talent?

La biofabrication ne se limite pas seulement à des processus, de l’équipement et des produits finaux — elle comprend aussi du personnel qualifié. Le Canada connaît déjà une énorme pénurie de talents pour l’infrastructure existante, sans parler des récents investissements et engagements pour en bâtir davantage à l’avenir. Le Rapport national 2021 de BioTalent Canada prévoit que la bioéconomie du Canada aura besoin de 65 000 emplois d’ici 2029 — ce qui comprend 16 140 travailleuses et travailleurs en biofabrication et 5 160 dans le secteur de la biosanté à lui seul. Au rythme actuel, on prévoit que seulement 25 % des postes disponibles seront pourvus.

Parallèlement, le Canada se classe au deuxième rang de la liste des pays les plus instruits dans le monde derrière la Corée, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Parmi les 61 % de Canadiennes et de Canadiens qui ont obtenu un diplôme d’études supérieures, 4,8 millions sont titulaires d’un diplôme lié aux sciences, à la technologie, à l’ingénierie et aux mathématiques (STIM) ou aux soins de santé, ce qui témoigne du bassin de talents potentiel pour les entreprises de génie médical et chimique.

La population immigrante jouera aussi un rôle déterminant pour répondre à cette demande en main-d’œuvre. On s’attend à ce que la migration nette atteigne 86 % d’ici 2029. De plus, les femmes représentent près du tiers (34 %) de l’ensemble du secteur canadien de la bioéconomie, et ont donc, au vu de la pénurie prévisible de main-d’œuvre, amplement l’occasion de gagner du terrain dans un marché du travail très axé sur les STIM.

Cela étant dit, le Canada doit s’assurer que les nouvelles compétences et les nouveaux talents s’insèrent bien dans le contexte des investissements importants réalisés dans ce secteur — et que ces efforts seront viables à l’avenir. On a besoin de talents certifiés en matière de bonnes pratiques de fabrication (BPF) dès maintenant. La création de contenu pertinent et l’accessibilité du perfectionnement ou de la requalification pour le personnel actuel sont essentielles pour redéployer les talents formés.

Les établissements d’enseignement doivent se transformer pour être en mesure de créer et d’offrir les programmes d’études et les occasions de formation indispensables à la création de talent qualifié dans ce domaine. À l’échelle internationale, on souhaite ardemment une approche harmonisée pour garantir une certaine continuité, ainsi que la coordination des connaissances et des ressources.

Nous savons qu’une approche d’équipe est nécessaire pour rebâtir la capacité de biofabrication du Canada  — secteur privé, milieu postsecondaire, hôpitaux, santé et gouvernement — sous le signe de la souplesse et de la résilience et devenir un chef de file mondial.

Se préparer pour l’avenir

Le Canada travaillait sur l’optimisation de sa capacité nationale bien avant la pandémie de COVID-19. Au cours des dernières années, nous avons investi plus de 1,2 G$ dans la biofabrication, les vaccins et des projets de thérapies qui sont en cours. En outre, plus tôt cette année, le gouvernement fédéral a investi 415 millions de dollars pour aider Sanofi à construire une usine de fabrication de vaccins antigrippaux à Toronto, en Ontario. Dans le même ordre d’idées, la société pharmaceutique Moderna, établie au Massachusetts, négocie avec le gouvernement fédéral la construction d’une usine de production de vaccins à ARNm au Canada. Il s’agit de sa première exploitation à l’étranger à ce jour.

Les vaccins contre la COVID-19 ont sauvé des vies au Canada et ont aidé tout le monde à revenir à la normale. Les plans de Moderna qui souhaite construire une installation de fabrication de vaccins ultramoderne ici au Canada constituent un jalon important pour notre objectif, soit le développement d’un secteur national des sciences de la vie fort et concurrentiel doté de capacités de biofabrication de pointe. Nous pourrons ainsi préparer le Canada pour qu’il soit apte à affronter d’autres pandémies et urgences sanitaires, à renforcer notre économie et à créer de bons emplois pour la population canadienne.

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, l’honorable François-Philippe Champagne

Depuis octobre 2021, le Canada s’est déjà procuré ou a conclu des ententes pour acheter jusqu’à 404 millions de doses de vaccins auprès de sources nationales et internationales, après avoir accéléré la production. Entretemps, la valeur de la consommation nationale de vaccins ou de produits thérapeutiques a explosé, passant de 473 M$ en 1997 à 4,8 G$ en 2019.

Comme la demande de vaccins dépasse la capacité de livraison, l’entreprise de biotechnologie Novalax du Maryland prévoit produire un vaccin contre la COVID-19, unique en son genre, au Centre de production de produits biologiques de Montréal. Si Santé Canada approuve le vaccin, l’entreprise devrait livrer 24 millions de doses par année, ce qui fera de Montréal la première ville canadienne à fabriquer un vaccin contre la COVID-19.

De plus, le 6 décembre 2021, le gouvernement fédéral a annoncé un investissement de 19 M$ dans la production locale de molnupiravir , un médicament antiviral oral expérimental pour le traitement de la COVID-19. Merck Canada et Thermo Fisher Scientific ont signé une entente pour la fabrication des pilules destinées à une distribution mondiale à Whitby, en Ontario. L’établissement de l’Ontario sera l’un des trois endroits au monde à produire le médicament. Cet investissement devrait créer 50 emplois bien rémunérés dans la région et générer des millions de dollars en recettes d’exportation.

Néanmoins, pendant que nous poursuivons la construction d’infrastructures de biofabrication, la menace de la pénurie de talent continue de planer. En accordant la priorité à une bioéconomie canadienne diversifiée le plus tôt possible et en investissant dans la formation et le talent, il sera plus facile de trouver des solutions novatrices qui profitent à notre économie et à notre population.

Jillian Murray
Jillian Murray

Jillian (Hatnean) Murray est directrice, Partenariats stratégiques, à Mitacs. Née et élevée à Windsor, en Ontario, elle a obtenu son B.Sc. Avec spécialisation en biochimie (2006) et son doctorat en chimie (2011) de l’Université de Windsor, suivis d’une bourse postdoctorale (2013) à l’Université de Toronto. Jillian travaille à Mitacs depuis 2013 et soutient actuellement les régions du Grand Toronto et de Hamilton, en aidant les entreprises à développer des projets de recherche en biofabrication, en sciences de la vie, en cannabis et en gestion des finances et des risques.