Rapport

Le Canada est-il prêt à faire le saut quantique?

Points clés

  • Le Le Canada abrite la première entreprise d’informatique quantique au monde.
  • La Stratégie quantique nationale solidifiera le leadership mondial du Canada dans les domaines de la science et de la technologie quantique.
  • L’investissement de 360 millions de dollars devrait créer des milliers de nouveaux emplois au Canada. Le Canada doit faire preuve de stratégie pour attirer et retenir les talents dans ce marché concurrentiel.
  • Les partenariats de recherche seront la clé de la création d’un écosystème quantique durable.

L’essor des technologies quantiques

L’ère quantique est à nos portes, et les récentes percées scientifiques ont ouvert la voie à des possibilités dont nous ignorions l’existence. Une compétition féroce est en cours entre les grandes puissances géopolitiques pour s’assurer un portefeuille plus important et plus diversifié de technologies quantiques. Dans un effort pour gagner la course au quantique, les établissements d’enseignement du monde entier lancent des programmes de science et d’ingénierie de l’information quantique (Quantum Information Science and Engineering ou QISE) afin de former une nouvelle génération de talents susceptibles d’ouvrir clairement la voie. Le Canada ne peut pas se permettre de perdre cette course si l’on considère les conséquences possibles sur la sécurité de son infrastructure numérique.

Mais qu’est-ce que la technologie quantique? Comment va-t-elle façonner l’avenir de l’innovation?

La technologie quantique applique les principes de la mécanique quantique — surtout l’intrication, la superposition et l’interférence quantiques ou l’effet tunnel — pour créer de nouvelles technologies fondées sur un ou plusieurs phénomènes quantiques. Les secteurs technologiques comprennent le calcul, la communication, la détection, l’imagerie et les matériaux.

Pour exploiter pleinement la puissance des ordinateurs quantiques, nous avons besoin de matériel évolué capable de fonctionner dans des conditions extrêmes, ainsi que d’algorithmes et de logiciels compatibles avec le calcul quantique.

En 2019, Google, la NASA et D-Wave Systems ont collaboré et se sont rapprochés de l’avantage quantique, c’est-à-dire la capacité de résoudre des problèmes complexes d’envergure qu’un ordinateur classique ne peut pas résoudre dans un délai raisonnable. Selon l’étude menée, l’ordinateur quantique utilisé a mis 200 secondes pour résoudre un problème qui aurait pris 10 000 ans au Summit 3, le superordinateur commercial le plus puissant au monde construit par IBM.

Mais si 20 ans de recherche nous ont appris quelque chose, c’est que l’évolution quantique prend son temps.

Même si l’ordinateur quantique de l’étude de Google et de la NASA présente un potentiel énorme, il n’a finalement aucune utilité pratique. Lorsque cela changera et que des problèmes de l’industrie seront réglés à l’aide des technologies quantiques, il s’agira d’un moment décisif dans le monde de l’informatique de haute performance, avec des implications majeures sur le développement économique et la concurrence mondiale.

La Stratégie quantique nationale du Canada

Le 13 janvier 2023, le ministère de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie a lancé la Stratégie quantique nationale du Canada (SQN), qui façonnera le futur des technologies quantiques etcontribuera à créer des milliers de nouveaux emplois. Grâce à un investissement de 360 millions de dollars engagé dans le budget de 2021, cette stratégie fait du Canada l’un des treize pays au monde ayant un plan national de croissance quantique. Il permet aussi de dépasser le milliard de dollars en fonds fédéraux pour la technologie quantique au cours des dix dernières années.

Dirigée par Innovation, Sciences et Développement économique Canada, la SQN se concentre principalement sur le développement de matériel et de logiciel quantiques, de communication quantique et de technologies de détection quantique. Ces objectifs seront soutenus grâce à aux investissements stratégiques dans les secteurs suivants :

  1. Recherche : 141 millions de dollars pour l’avancement de la recherche quantique de base et appliquée
  2. Talents : 45 millions de dollars pour développer et retenir l’expertise en sciences quantiques au Canada
  3. Commercialisation : 169 millions de dollars pour transformer la recherche et les solutions quantiques en produits et services évolutifs pour le Canada et le monde entier

Dans le cadre de la stratégie, Mitacs offrira des stages d’innovation et des possibilités de perfectionnement professionnel d’une valeur de 40 millions de dollars pour attirer, développer, retenir et déployer du personnel hautement qualifié en sciences et technologies quantiques .

Habituellement, les fonds fédéraux pour la technologie quantique viennent du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) ainsi que des organismes de recherche comme la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) et l’Institut canadien de recherches avancées (CIFAR).

Il s’avère que les gouvernements provinciaux constituent aussi des sources intéressantes de financement pour la science quantique puisqu’ils investissent considérablement dans les technologies quantiques novatrices — notamment le Québec qui, à lui seul, a engagé plus de 200 M$ de 2019 à 2027.

Nouvelles idées et recherches inédites

Les établissements d’enseignement constituent les plus grandes ressources en matière de recherche et d’expérimentation quantiques au Canada. Voici quelques instituts et centres de recherche dont les programmes de pointe font progresser l’innovation quantique dans tout le pays :

  1. l’Institut d’informatique quantique (région de Waterloo);
  2. l’Institut Périmètre de physique théorique (région de Waterloo);
  3. l’Institut quantique de l’Université de Sherbrooke (Québec), qui est considéré comme le prochain point névralgique de la technologie quantique au Canada;
  4. l’Université de la Colombie-Britannique, qui abrite le Quantum Matter Institute (investissement de 66,5 millions de dollars par le Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada);
  5. Quantum Alberta (effort concerté de l’Université de Calgary et du gouvernement de l’Alberta);
  6. le Centre conjoint de photonique extrême (CCPE);
  7. le Centre de recherche sur les technologies de sécurité et de rupture (TSR), le Centre de recherche en électronique et photonique avancées (EPA) et le Centre de recherche en métrologie (Métro), financés par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) avec la contribution du Centre de recherche en nanotechnologie (NANO).

La liste est peut-être courte, mais l’impact de ces instituts et de ces centres est indéniable.

À l’heure actuelle, le Canada se classe au 11e rang dans la liste des pays du G20 en ce qui concerne le nombre de publications portant sur la technologie quantique; la Chine, les États-Unis et l’Allemagne tenant le haut du pavé. Une autre étude, menée entre 2000 et 2018, semble indiquer que le Canada se classe au 6e rang mondial en ce qui concerne le nombre de publications portant sur la technologie quantique. Il figure également parmi les 10 pays à avoir déposé le plus de demandes de brevets dans le domaine de l’informatique quantique, et ce, grâce aux contributions considérables de D-Wave Systems et de l’Institut Périmètre.

En ce qui concerne le nombre d’articles scientifiques liés au domaine quantique par province, l’Ontario arrive en tête, suivi du Québec, puis de la Colombie-Britannique. De plus, un nombre croissant de chercheuses et de chercheurs du Canada publient des articles retentissants sur les sciences quantiques en collaboration avec des partenaires internationaux.

Le Canada dispose manifestement d’un énorme potentiel — alors quelle sera la prochaine étape?

Obstacles à l’innovation quantique

La transposition des nouvelles recherches en produits commercialement viables semble être le chaînon manquant. Étant donné que la recherche quantique est financée en grande partie par le gouvernement canadien, il est impératif que nous transformions les résultats de la recherche en une propriété intellectuelle défendable qui peut alimenter l’économie. Et il se trouve que le Canada possède une mine d’or quantique qui n’attend que d’être exploitée.

Pour l’instant, cinq grands obstacles entravent la commercialisation des technologies quantiques au Canada :

  1. la rareté du personnel hautement qualifié prêt à résoudre les problèmes du secteur;
  2. le manque de matériel suffisamment puissant;
  3. le manque de normalisation;
  4. le coût exorbitant des initiatives de recherche et développement;
  5. la réticence de l’industrie à miser sur les nouvelles technologies.

En fin de compte, les talents et le milieu entrepreneurial canadiens ont besoin de soutien stratégique pour assurer la viabilité commerciale des solutions quantiques.

Cependant, il existe un énorme potentiel de croissance.

Le Canada abrite la première entreprise quantique prospère au monde, D-Wave Systems (qui a un riche portefeuille de propriété intellectuelle), ainsi que le pionnier mondial de l’informatique quantique photonique, Xanadu. 1Qbit est une autre entreprise canadienne de premier plan qui a acquis une reconnaissance internationale pour le développement d’applications quantiques. De plus, Toronto est un foyer mondial d’entreprises en démarrage dans le secteur des technologies quantiques, grâce aux établissements de recherche de pointe, au talent émergent et à Creative Destruction Lab — le premier incubateur en technologies quantiques au monde établi à l’Université de Toronto (U de T). L’Université de Waterloo, l’Institut Périmètre et l’U de T ont d’ailleurs produit ensemble le plus grand nombre de publications sur les technologies quantiques au cours des 10 dernières années, l’Université de Toronto étant celle qui a eu le plus grand impact. C’est une preuve supplémentaire du fait que nous disposons déjà du talent et de l’expertise nécessaires pour aller de l’avant.

Toutefois, pour tirer parti de ces ressources, un plus grand nombre d’entreprises, en particulier les entreprises en démarrage et celles du domaine technologique, doivent s’associer aux établissements postsecondaires afin de libérer la créativité et le potentiel du Canada. Une plus grande collaboration dans le domaine de la recherche permettrait non seulement de faire passer plus rapidement les technologies du laboratoire au marché, mais aussi de donner aux chercheuses et aux chercheurs la possibilité d’affiner leur savoir-faire dans des conditions réelles.

Partenariats entre le milieu postsecondaire et le secteur privé : un mariage parfait dans le domaine quantique

Malgré la multiplication des pôles d’innovation dans le pays, les partenariats de recherche dynamiques et concrets restent limités. Si le Canada souhaite demeurer en lice dans la course quantique et continuer à être concurrentiel sur le plan international, il incombe au milieu postsecondaire, aux entreprises et au gouvernement d’unir leurs forces pour résoudre l’un des plus grands défis technologiques de notre époque.

La bonne nouvelle est qu’il existe divers moyens de créer et de maintenir un écosystème quantique prospère au Canada. L’un d’entre eux consiste à obtenir le soutien des gouvernements fédéral et provinciaux. Il s’agit d’élaborer des politiques qui favorisent la mise en œuvre et l’adaptation des technologies quantiques. Cela signifie également qu’il faut rationaliser le processus d’immigration pour que les talents internationaux puissent plus facilement rejoindre l’écosphère quantique du Canada, et y demeurer.

Bien que l’informatique quantique présente de nouveaux risques pour la cybersécurité, elle s’accompagne également de plus grands avantages économiques sous la forme de percées technologiques, de nouvelles solutions à des problèmes complexes et de nouvelles possibilités d’emploi dans les secteurs de haute technologie. Les responsable de l’action publique doivent comprendre les avantages et les menaces associés à cette technologie émergente, car elle peut faire ou défaire la sécurité de nos systèmes financiers, y compris la façon dont nous stockons les renseignements de nature délicate. Le fait de soutenir des politiques qui attirent et retiennent les spécialistes des technologies quantiques du monde entier pourrait en fin de compte protéger notre sécurité nationale.

Le chemin à parcourir

À mesure que ces conversations attirent l’attention du grand public, de plus en plus de secteurs prennent des dispositions pour obtenir un « avantage quantique » tout en se préparant aux menaces sans précédent qui accompagnent cette passionnante transition. Cela est particulièrement vrai pour les secteurs de l’automobile, de l’aérospatiale et des matériaux, ainsi que pour les institutions financières — certains des premiers secteurs à utiliser l’informatique quantique.

Mais ce n’est pas tout.

De nouveaux stages de recherche et programmes coopératifs axés sur la technologie quantique permettent aux étudiantes et aux étudiants en sciences et en ingénierie d’acquérir de l’expérience et d’appliquer leur savoir-faire dans les secteurs concernés. Cela signifie que d’autres possibilités de carrière sont susceptibles de voir le jour dans le secteur quantique au cours des prochaines années, surtout si le Canada offre avec constance une formation entrepreneuriale aux entrepreneur·es quantiques en devenir. L’un des objectifs de la Stratégie quantique nationale est précisément de soutenir les établissements d’enseignement dans l’élaboration et la mise en œuvre de programmes d’études quantiques pouvant être intégrés aux programmes de sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM). Un solide programme d’études quantiques devrait montrer aux étudiantes et aux étudiants comment relier la théorie et la recherche à l’ingénierie quantique pour obtenir des résultats pratiques.

Enfin, le Canada devrait tirer parti de ses liens internationaux avec d’autres pays pour stimuler et encourager l’afflux de talents quantiques. Cela permettrait non seulement de réduire les frais généraux de la recherche, mais aussi d’améliorer la visibilité du Canada sur la scène mondiale. La Stratégie quantique nationale est un pas crucial dans cette direction.

Vous pourriez penser que ces objectifs quantiques sont un peu ambitieux.

Ils le sont, absolument, mais ils sont réalisables. C’est pourquoi les scientifiques et les ingénieur·es du monde entier repoussent les limites de l’innovation pour développer des technologies au potentiel extraordinaire. Et le Canada n’est pas sur le point de perdre son élan.

Mohammad Reza Rezaee
Mohammad Reza Rezaee

Mohammad Rezaee, Ph. D. est conseiller sénior à Mitacs et il se passionne pour la technologie et la science quantique. Il se dévoue à faire sortir la recherche quantique des laboratoires universitaires et à la ramener dans la vie quotidienne, ainsi qu’à soutenir les entreprises en démarrage canadiennes à réussir et à suivre le rythme de la course mondiale de l’avantage concurrentiel en technologie quantique. Il contribue à la création d’un écosystème quantique florissant à travers le Canada en reliant les parties prenantes et en diminuant les obstacles pour réseauter avec des experts, des expertes, des fondateurs et des fondatrices en technologie quantique.